Le livre « Esclavage et Réparations – Comment faire face aux crimes de l’histoire » de Louis-Georges Tin est constitué de trois parties : la question des réparations en France, la question des réparations aux États-Unis, et penser les réparations.

 

Nous vous proposons ici un résumé complet de cet ouvrage, avec la mise en avant de ce que nous avons considéré comme étant des éléments importants à souligner.

 

Temps de lecture : 11 mn

 

Sommaire : 

Couverture du livre Esclavage et Réparations de Louis Georges Tin

La question des réparations en France

Tout d’abord, l’auteur établit le constat suivant : la France a du mal à assumer les crimes de son histoire, ce qui explique que la question des réparations a longtemps été occultée, et continue aujourd’hui d’être un sujet tabou. Pour amener ce constat, il prend pour exemple le fait que la première fiction française sur l’esclavage, Tropiques amers, date de 2007 seulement, alors qu’aux états-Unis, La Case de l’oncle Tom date de 1910, et de nombreux autres films traitant du sujet sont venus par la suite peupler l’imaginaire du grand public.

Réparation et abolition (1788 – 1849)

En France, la question des réparations a représenté un enjeu politique dès 1788, avec la création de la Société des Amis des Noirs. C’était en plein contexte de révolution française, et la question de l’abolition et de ses conséquences se posait. Mais, hormis Condorcet dont la position était minoritaire au sein de la Société des Amis des Noirs, la plupart des abolitionnistes estimaient que l’abolition devait se faire progressivement et que les anciens propriétaires d’esclaves devaient être indemnisés pour le « préjudice » subi.

 

Et pour illustrer cette vision des choses, Haïti est un parfait exemple. En 1803, Haïti arracha son indépendance en infligeant une défaite cuisante à l’armée française. Un peu plus de vingt ans plus tard, la France de Charles X revint à la charge et imposa aux haïtiens de dédommager les anciens colons. En d’autres termes, ce sont les victimes du crime qui furent condamnées à indemniser les criminels

 

Fait intéressant : Haïti était la plus riche des colonies du monde, et faisait vivre un Français sur sept !

Même le célèbre abolitionniste Victor Schoelcher estimait que l’abolition devait être accompagnée d’un dédommagement pour les colons. Ce point de vue sur la question l’emporta lorsque fut publié le décret d’abolition le 27 avril 1848. Pour l’auteur, il est clair que la France n’a pas aboli l’esclavage, mais a plutôt racheté puis affranchi ceux qui avaient été asservis.

Réparation et décolonisation (1919 – 1960)

Après l’abolition, la question des réparations a disparu du paysage, jusqu’à ce qu’elle refasse surface après la première guerre mondiale, dans un contexte de lutte anti-coloniale. Elle fut notamment à l’ordre du jour des différents congrès panafricains de 1919, 1921, 1923 et 1927. Au cœur des revendications : la restitution des terres et des richesses, ce qui constitue pour l’auteur le premier stade de la réparation.

 

Dans ce chapitre, Louis-George Tin évoque également le changement d’opinion que Frantz Fanon a opéré sur la question entre 1952 (dans Peau noire, masques blancs) et 1961 (Les damnés de la terre) : alors qu’il envisageait les réparations comme une question exclusivement morale et problématique, il finit par les voir comme une nécessité politique et économique. Fanon : « L’Europe est littéralement la création du tiers-monde. Les richesses qui l’étouffent sont celles qui ont été volées aux peuples sous-développés ».

 

A travers Fanon, il aborde également la question des réparations au sens psychiatrique du terme, le crime de l’esclavage et de la colonisation ayant provoqué des séquelles mentales tant chez les colonisés et esclavagisés que chez les colons.

 

Autre aspect des réparations cité dans le chapitre : celui concernant l’injustice des pensions d’anciens combattants non versées suite aux indépendances des anciennes colonies françaises dans les années 1960.

Réparation et mémoire post coloniale (depuis 2001)

2001 est l’année de promulgation de la loi Taubira, qui reconnaît la traite et l’esclavage comme étant un crime contre l’humanité. A la base, l’enjeu de cette loi était la réparation, et c’était clairement énoncé dans son article 5. Or, cet article a été purement et simplement supprimé du texte finalement voté.

 

Suite à cela, la question des réparations est redevenue d’actualité en 2003 lorsque Christiane Taubira demanda au ministre des affaires étrangères de restituer à Haïti la rançon imposée par Charles X. Refus. La même année, la même demande est adressée à la France par le président Haïtien, Jean Bertrand Aristide. Nouveau refus. Et Aristide dut quitter son pays peu après, dans un contexte de déstabilisation orchestrée par la France et les Etats-Unis.

 

Le comble survient en 2005, avec la loi du 23 février sur le « rôle positif » de la colonisation. Cette loi proposait des réparations, mais pour les anciens colons ! Et comme le souligne l’auteur, il s’agissait de réparations de toutes natures : symboliques, mémorielles et même financières.

 

2005 toujours, le MIR Martinique et le Conseil mondial de la diaspora panafricaine assignent l’Etat français en justice et réclament des réparations.

 

2012, le CRAN organise un colloque international sur la question des réparations et son président, Louis Georges Tin, publie dans le journal le Monde un appel pour un débat national sur les réparations. A la suite de cet appel, le Premier ministre de l’époque s’est engagé à mettre en place une politique de réparations pour les descendant d’esclaves.

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La question des réparations aux Etats-Unis

Le chapitre s’ouvre avec ceci : les réparations aux Etats-Unis dédommagent les victimes et leur descendance, et elles ont été mises en place dès la période de l’esclavage.

Réparation et indépendance

L’auteur relate une histoire importante, celle d’une femme du nom d’Elisabeth Freeman, qui obtint, au terme d’un procès, non seulement sa liberté mais également des réparations au titre des années de travail sans salaire qu’elle avait fourni en tant qu’asservie. Cette décision fit jurisprudence ce qui donna la possibilité à d’autres procès d’avoir lieu, avec une issue favorable aux noirs qui les avaient intentés.
Petite parenthèse, l’histoire d’Elisabeth Freeman fera prochainement l’objet d’un film, produit notamment par l’actrice Octavia Spencer.
Revenons au livre. Hormis le cas de Freeman, d’autres histoires d’émancipation et de réparations obtenues par la voie légale sont racontées par l’auteur dans ce chapitre.

Sécession, réparation et reconstruction

La guerre de sécession, opposant les états du nord à ceux du sud, et à laquelle prirent part les afro-américains, fut l’occasion pour la cause abolitionniste de se faire entendre et d’obtenir non seulement la liberté pour les esclaves, mais aussi une indemnisation. Par exemple, en Caroline du sud et en Georgie en 1865, dix mille affranchis reçurent chacun 40 âcres (16 hectares) de terres arables et une mule après la promulgation d’une ordonnance par un général nommé Sherman. Mais cela ne dura pas car à la mort de Lincoln, la plupart des terres furent « rendues » aux blancs.

 

Plus loin dans le livre, l’auteur raconte comment plusieurs propositions de loi prévoyant des réparations pour les victimes de l’esclavage ne furent pas promulguées ou même votées. Malgré ces échecs, un mouvement social en faveur des réparations s’était créé et avait rassemblé jusqu’à plusieurs centaines de milliers de noirs qui faisaient pression sur le congrès pour qu’une loi accordant des retraites aux anciens asservis soit votée. Bien sûr, les leaders de ce mouvement furent attaqués et les revendications étouffées. La ségrégation fut mise en place à travers les lois Jim Crow.
C’est dans ce contexte que Marcus Garvey, leader noir originaire de la Jamaïque, entreprit de mettre en place ce qu’il considérait comme la première des réparations : le retour en Afrique. C’est dans ce but qu’il fonda en 1919 une compagnie maritime, la Black Star Line.

Réparation et droits civiques

La position de Martin Luther King, un des leaders de la lutte pour les droits civiques dans les années 1960, était de dire que l’esclavage, en plus d’être une privation de liberté, était une privation de salaire qui eut des conséquences aussi bien pour les personnes asservies que pour leur descendance. Il proposait donc que soit mise en place une politique de dédommagement visant à compenser les déséquilibres engendrés par cette privation de salaire au départ. Sa proposition ne fut jamais retenue.

 

C’était également plus ou moins la position de Malcolm X, autre leader du mouvement.
Un autre leader, du nom de James Foreman, aborda la question des réparations en pointant du doigt un autre responsable du crime de l’esclavage. Il demanda en effet à l’Eglise de verser 500 millions de dollars en guise de réparations.

Les réparations aujourd’hui

Dans les années 1970, des avancées ont été obtenues en matière de réparations, notamment en faveur des populations autochtones du continent américain, et dans les années 1980, en faveur des Japonais-Américains qui avaient été internés dans des camps pendant la seconde guerre mondiale.
En parallèle, la situation des Noirs américains (éducation, santé, finances…) se dégradait, conséquences des politiques menées par Reagan et Bush. Dans ce contexte, la NCOBRA (National Coalition of Blacks for Reparations in America) fut créée pour relancer le combat et John Conyers, un élu noir, déposa une proposition de loi allant dans ce sens. La loi ne fut pas adoptée, mais relança le débat dans tout le pays. Cela aboutit à la publication de plusieurs livres, dont le célèbre « The Debt. What America Owes to Blacks« , de Randall Robinson (paru en 2001).

L’auteur cite ensuite des réparations obtenues dans différents Etats où des lois votées dans les années 2000 ont obligé les grandes sociétés ayant des contrats publics à révéler si elles avaient bénéficié de l’esclavage par le passé. C’est le cas de la banque JP Morgan Chase, qui dut reconnaître son passé esclavagiste et lança un programme de bourses d’études pour les afro américains, en guise de réparation (et accessoirement, présenta des excuses officielles). D’autres sociétés suivirent.

Penser les réparations

Dans ce dernier chapitre, l’auteur développe ses arguments concernant tout d’abord le débat sur le principe, puis celui sur les modalités des réparations.

Le débat sur le principe

Premier argument : si l’on refuse la réparation, c’est qu’on remet en cause le caractère criminel du fait. La réparation est prévue par la loi, et se définit dans le cadre de toute action judiciaire comme « l’ensemble des dispositifs légaux, moraux, matériels, culturels ou symbolique mis en place pour indemniser, après un dommage de grande envergure, un groupe social ou ses descendants, de manière individuelle ou collective ». Cela est prévu par la loi et s’applique régulièrement, comme par exemple lorsque l’Allemagne a dû payer des réparations à la France après la première guerre mondiale, et ce jusqu’en octobre 2010 !
L’auteur répond ensuite aux principales objections aux réparations (et il y en a beaucoup) :
Objection : la demande intervient trop tard.
Réponse : C’est méconnaître l’histoire, car les esclaves et leurs descendants, comme vu plus haut, n’ont cessé de se battre pour les obtenir.
Objection : Il y a prescription, cela est trop ancien.
Réponse : La traite négrière est reconnue comme crime contre l’humanité par l’Etat français et l’ONU, ce qui la rend imprescriptible.
Objection : les coupables sont morts depuis longtemps, et on ne peut tenir leurs descendants pour responsables des crimes de leurs aïeux.
Réponse : Ils ne sont pas responsables des crimes, mais ils bénéficient de l’argent engrangé et accumulé au fil des ans grâce à l’esclavage, tandis que les descendants des victimes souffrent des conséquences.
Objection : Si les descendants d’esclaves demandent des réparations, eux-mêmes pourraient tout aussi bien en demander suite à l’occupation de la Gaule par les Romains il y a deux mille ans.
Réponse : L’occupation de la Gaule par les Romains n’est pas reconnue comme crime contre l’humanité, et il n’est pas démontré que les descendants de Gaulois subissent toujours aujourd’hui ses conséquences.
Objection : Il serait anachronique de juger les actions du passé avec les critères moraux du présent.
Réponse : Si c’est argument est accepté, alors tout acte criminel pourrait être justifié par les circonstances ayant conduit le criminel à commettre son forfait. Par ailleurs, en plus d’être absurde, cet argument est faux, car la légitimité de l’esclavage a toujours été contesté au cours des siècles passés.
Objection : La repentance ne sert à rien.
– Réponse : il ne s’agit pas de repentance (position morale), mais de réparation (problème politique et économique). On demande pas aux descendant de négriers de s’excuser, et ils ont l’outrecuidance de dire qu’ils refusent de se repentir.
Objection : La victimisation n’aide pas la victime.
Réponse : la victime est légitime à demander réparations, et ce n’est pas au descendant de colon de lui dire qu’il se victimise en faisant cela. L’argument n’est pas recevable et est insultant.
Objection : la vie et la liberté n’ont pas de prix, il est donc impossible de quantifier les réparations. Le faire, ce serait se placer dans la même logique marchande que du temps de l’esclavage.
Réponse : On peut tout à fait chiffrer le coût du travail volé aux asservis, la mise en servitude les ayant privé non seulement de liberté, mais également de la possibilité de capitaliser et de transmettre un héritage aux générations suivantes. Cela, on peut le quantifier et réparer, sans que l’on rentre dans une logique de marchandisation de la vie et de la liberté.
Objection : La logique de réparations de fait que renforcer les haines sociales existantes.
Réponse : Un ordre injuste est source de désordre public. Par ailleurs, des exemples montrent que c’est en fait le contraire, et que cette logique réduits en réalité les haines sociales.
Voilà pour les réponses aux objections des adversaires de la cause.
Pour conclure sur le principe, le processus de résolution du contentieux historique qu’est l’esclavage doit se dérouler en trois étapes : 1 – La reconnaissance (loi Taubira), 2 – La réparation, et 3 – La réconciliation. Cette dernière ne sera pas possible sans la seconde.

Le débat sur les modalités

Comment réparer ? Cette question ne doit intervenir qu’après avoir accepté le principe, et non avant. Car elle ne doit pas conditionner le fait d’être pour ou contre le principe.
Souvent, le prétexte donné pour ne pas mettre en place une politique de réparations est de dire que les modalités de mise en oeuvre seraient trop compliqué. C’est, pour l’auteur, faire preuve à la fois de mauvaise foi et d’hypocrisie, et qu’il s’agit en fait d’un moyen de ne pas dire clairement qu’on est contre le principe.
Sur les modalités en elles-mêmes, la réparation doit-elle être morale ou financière ? Les deux, nous répond l’auteur. Morale pour la privation de liberté et les tortures, et financière pour les siècles de travail non rémunérés et les conséquences économiques dramatiques pour les peuples asservis provoquées par ce crime.
Par ailleurs, la différence entre ces deux modalités n’est pas si évidente. Louis Georges Tin souligne avec justesse que « les réparations morales ont toujours un coût financier, et les réparations financières ont toujours une valeur morale« . Par exemple, la construction d’un musée, qui est un réparation morale, coûterait des millions d’euros. Et le remboursement de la rançon versée par Haïti serait un « acte politique fort, moralement essentiel ».
Les réparations doivent-elles être collectives ou individuelles ? Ce qui paraît le plus évident, c’est qu’elles soient collectives. Mais après tout, rien n’empêche un individu d’estimer que les frais et le temps consacrés à rechercher ses racines, à consulter des généalogistes, voyager pour consulter des archives ou se rendre dans la région dont il pense être originaire, tout cela doit être pris en charge par l’Etat. Car c’est ce dernier qui, en mettant en place l’esclavage, l’a coupé de ses racines, de sa langue, de sa culture, etc.
Le livre termine sur l’énonciation de certaines des propositions faites par des associations au premier ministre en 2012 (la liste complète de ces préconisations est en annexe du livre) : assurer la traçabilité des profits français issus de la traite négrière, rembourser à Haïti la rançon extorquée, mettre en place un plan Marshall et une réforme agraire dans l’outre-mer, pour n’en citer que quelques-unes.

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