A partir du XVIIe siècle, et durant deux cents ans, douze ports français prennent part à l’esclavage : Le Havre, Honfleur, Dunkerque, Rouen, Lorient, Saint-Malo, Nantes, La Rochelle, Bordeaux, Bayonne, Marseille et Vannes. Parmi eux, celui de Nantes arrive en tête : il fut le point de départ d’expéditions responsables de la déportation de 550 000 africains vers les colonies européennes d’Amérique, soit plus de 40% du trafic négrier français entre les XVIIe et XIXe siècles.
Ce n’est qu’en 1998 que la ville décida d’édifier un monument pour commémorer cette période de son histoire : le mémorial de l’abolition de l’esclavage. Celui-ci fut inauguré le 25 mars 2012 (soit 164 ans après l’abolition !).
Une visite en deux temps
Le site internet du mémorial présente celui-ci comme un « cheminement méditatif sur le lieu symbolique des activités portuaires nantaises », « à la fois un monument commémoratif, une œuvre d’art et un espace public ».
Le parcours commémoratif est une promenade le long de laquelle se trouvent 2000 plaques de verre où sont inscrits le nom des bateaux et les dates de départ des expéditions négrières nantaises, ainsi que les comptoirs, les ports d’escale et les ports de vente en Afrique, en Amérique et dans l’Océan Indien.
Le parcours méditatif se situe quant à lui dans un souterrain qui rappelle la cale d’un bateau, où l’on peut lire une sélection de textes provenant de tous les continents impliqués dans la « traite », tels que des lois, des témoignages, ou encore des œuvres littéraires.
L’histoire de l’esclavage falsifiée
Si la construction de ce mémorial a largement été saluée par la presse et diverses personnalités publiques – notamment car il montre la volonté des responsables politiques de la ville d’assumer le passé esclavagiste de celle-ci –, la simple lecture de son site internet nous laisse dubitatif quant à l’enseignement que la visite du monument délivre vis-à-vis de ce sombre chapitre de l’histoire.
En effet, si nous nous référons à ce qui est écrit, « la traite négrière atlantique débute au 15e siècle lorsque les Portugais commencent à acheter des hommes sur les côtes d’Afrique qu’ils explorent alors ». Ainsi, dès le départ, « des négriers européens partent d’Europe avec des marchandises manufacturées qu’ils échangent sur les côtes d’Afrique contre des captifs fournis par certains royaumes et négriers africains ».
Ce soi-disant « commerce » se serait mis en place tout naturellement, grâce à une « traite intérieure africaine » alimentée par des guerres entre Etats et des razzias pratiquées depuis des temps immémoriaux. Or, la réalité est tout autre. Pour vous en rendre compte, nous vous invitons à lire le numéro 37 de la revue trimestrielles Racines[1], consacré au crime européen de l’esclavage et intitulé « Le Yovodah, la déportation et l’esclavage des africains ».
Par ailleurs, même le choix du nom du monument pose question : il commémore l’abolition de l’esclavage, et non pas l’esclavage ; il commémore donc un acte positif initié par une poignée d’anti-esclavagistes européens, et non pas le crime en lui-même, perpétré et cautionné par une majorité, et dont la société française (et européenne) toute entière a bénéficié.
Le code noir passé sous silence
Pour un monument dont la vocation est d’honorer la mémoire des victimes de l’esclavage, il est quand même très étonnant qu’aucune référence au Code Noir ne soit faite[2]. Le Code Noir, c’est le texte juridique promulgué par Louis XIV en 1685 dont le but était de régir la vie des esclaves, considérés comme des « biens meubles ». L’un des textes les plus inhumains qui n’aient jamais existé, et qui a joué un rôle prépondérant dans les conditions de vie des millions d’africains réduits en esclavage par la France.
Un passé toujours pas assumé
Les problèmes soulevés ci-dessus montrent clairement que finalement, ce passé négrier n’est pas véritablement assumé : la part belle est faite aux abolitionnistes français (on occulte totalement les résistances africaines et les combats pour la liberté des africains réduits en esclavage), et on limite la responsabilité des nations européennes en disant qu’il s’agissait de toute façon d’une pratique courante en Afrique (ce qui est bien évidemment une falsification de l’histoire, cf. références en bas de page).
Pour finir, la morale qui semble vouloir se dégager du mémorial, c’est qu’il est important de se souvenir et de réaliser l’ampleur du crime, afin de lutter contre l’esclavage moderne (qui ferait actuellement 27 millions de victimes à travers le monde, selon l’ONU). Rien sur les déséquilibres économiques engendrés par le crime européen de l’esclavage, responsables en grande partie de la situation de sous-développement de nombreux pays, rien sur les conséquences psychologiques et spirituelles qui ont cours encore aujourd’hui, enfin rien sur la nécessité de réparer[3].
Conclusion : ce qui passe pour être une réparation culturelle n’en est donc pas vraiment une. Nous vous invitons à tout de même aller visiter ce mémorial – car il nous concerne en premier lieu – tout en gardant un regard très critique vis-à-vis de sa finalité.
Infos pratiques
L’accès au mémorial est gratuit et ouvert toute l’année, de 9h à 18h (du 16 septembre au 14 mai), ou de 9h à 20h (du 15 mai au 15 septembre). Il se situe Quai de la Fosse – Passerelle Victor-Schœlcher. Pour compléter cette visite, vous pouvez vous rendre au musée d’histoire de Nantes, à 1,5 km de là.
Mémorial de l'abolition de l'esclavage
Quai de la Fosse, Passerelle Victor-Schoelcher, 44000 Nantes, France
[1] Page Facebook de l’association Racines qui édite la revue : https://www.facebook.com/Association-Racines-318966001454492/ – Voir aussi la vidéo « Les résistances noires durant l’esclavage (en Afrique et au nouveau monde) » : https://www.youtube.com/watch?v=NluhjNIQiDc&index=7&list=PLgBXUiZaZBljwBI3abP_VRbvDCRSU6AZy
[2] Cf. « Mémorial pour l’abolition de l’esclavage à Nantes. Sans le Code noir, c’est regrettable » (Nouvel Obs, 20/05/2014) : http://leplus.nouvelobs.com/contribution/1203771-memorial-pour-l-abolition-de-l-esclavage-a-nantes-sans-le-code-noir-c-est-regrettable.html
[3] Sur le sujet des réparations, voir « ESCLAVAGE, REPARATION » : du professeur Luis SALA-MOLINS*: http://amon-france.com/esclavage-reparation-du-professeur-luis-sala-molins/
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