Fin avril 2018, je me suis rendu au Sénégal, où j’ai rejoint des dizaines d’Africains de la diaspora et du continent, venus dans une démarche de reconnexion à l’Afrique. Ce voyage a été organisé par le MIR (Mouvement International pour les Réparations) Martinique, dans le cadre du 18e Konvwa pou reparasyon (le convoi pour les réparations), organisé en Afrique pour la première fois.

Tout un symbole, c’est sur l’île de Gorée que le MIR a choisi d’organiser ce grand retour des afro-descendants sur le sol africain. Beaucoup de mes co-voyageurs sont venus des Antilles (Martinique, Guadeloupe), et ont mis 24 heures pour arriver au Sénégal. Et oui, il faut savoir qu’il n’y a pas de vol direct entre les Caraïbes et l’Afrique ! Tous ont dû faire une escale à Paris. Après 8 heures de vol pour rejoindre la capitale française, ils ont dû patienter quelques heures à l’aéroport d’Orly, avant d’embarquer à nouveau dans un vol d’environ 6 heures pour Dakar. C’est là que je les ai rejoint.

Voici jour par jour le récit de ce voyage au pays de la teranga.

Jour 1 : Visite de Dakar

J’ai la chance de passer la première journée en compagnie de Miguel, un martiniquais qui avait fait, il y a tout juste 20 ans, le trajet Nantes – Gorée – Sainte Anne en bateau, accompagné d’autres jeunes martiniquais et français. Au cours du séjour, il nous fera le récit de cette aventure et exprimera ses souvenirs 20 ans après.

Avec notre chauffeur de taxi, Sow, nous partons découvrir quelques endroits que j’avais repérés sur la carte touristique distribuée à l’hôtel : la Porte du 3e millénaire, l’Université Cheikh Anta Diop, le Monument de la Renaissance Africaine, et pour finir le marché artisanal de Soumbédioune. Au Monument de la Renaissance, nous sommes agréablement surpris de payer le tarif résident ; en effet, ils considèrent dans ce musée que tous les africains et afro-descendants sont des résidents.

Après cette « dure » journée de visites, nous rejoignons le groupe au restaurant L’Endroit, pour un bon repas dans une ambiance conviviale. Au menu : poisson braisé, plantain, manioc !

La porte du 3e millénaire, Dakar – Crédit photo : Tambou

Le monument de la Renaissance Africaine, Dakar – Crédit photo : Tambou

Jour 2 : Journée de conférence sur l’esclavage et les réparations

Levé tôt ce matin, petit-déjeuner à 6h30, puis direction le port de Dakar. Pour la première fois, et après en avoir entendu parler toute ma vie, je me rends enfin sur l’île de Gorée (« Ber », de son vrai nom). Au petit matin, nous arrivons donc au port de Dakar, non loin de notre hôtel, et embarquons à bord de la chaloupe qui rejoint l’île en 30 minutes. A l’approche de Gorée, l’embarcation contourne une bouée marquant l’emplacement d’un bateau coulé en 1940 par un canon français situé en haut de Castel, la partie la plus haute de l’île.

La visite de l’île

On débarque, et profite qu’il soit tôt pour faire le tour de l’île, avant de nous rendre au colloque qui ne commence qu’à 10 heures. Nous passons devant la « maison des esclaves », que nous visiterons demain. Partout, des baobabs, et dans le ciel, des oiseaux qui me font penser à des aigles. Ce sont en fait des milans à bec jaune, une espèce de rapace (c’est le Colonel, un guide local recommandé par Miguel, qui me l’apprendra plus tard). Au cours de ce tour de l’île, je croise le chemin des quelques participants avec qui je fais connaissance au gré de nos déambulations dans les petites ruelles. Certains discutent avec les commerçants désireux de faire des affaires, mais il faut dire que nous n’avons pas vraiment la tête à faire des achats. Devant la statue d’un couple se libérant des chaînes de l’esclavage, je croise une sud-africaine rencontrée sur la chaloupe, en train de se faire prendre en photo pour immortaliser sa visite.

Plus loin, en haut de l’île, se trouvent un mémorial en forme de voile de bateau, un canon datant du début du XXe siècle (celui qui a coulé le bateau anglais), et des sculptures en bois dont le nom de l’auteur est inscrit sur un petit muret. Les bunkers qui se trouvent à cet endroit sont aujourd’hui occupés par des artistes et des commerçants qui proposent leurs marchandises aux visiteurs.

La conférence

A 10h, nous voici tous réunis dans le lieu aménagé pour les conférences de la journée. Le thème, c’est le crime européen de l’esclavage et les réparations. Le matin, c’est Hulo, dite « Mama Africa », une militante panafricaine du Sénégal et co-organisatrice de l’événement, qui prend la parole pour nous souhaiter la bienvenue et introduire les intervenants. Pour l’accompagner, Myriam, membre du MIR et organisatrice du voyage. Ce sont d’abord des associations venues des Caraïbes (Antigua, Barbuda, Guadeloupe…), d’Afrique (Mali, Sénégal) et d’Angleterre qui exposent leur vision et leurs démarches respectives dans la lutte pour les réparations. L’après-midi, le panel se compose d’avocats spécialisés, en procès contre l’État en Martinique, d’intellectuels africains, dont Aminata Traore (ancienne ministre au Mali), une prêtresse vaudou, et un médecin traditionnel. Le maire nous honore également de sa présence et son accueil est chaleureux : « Vous êtes chez vous, chez nous ». Cette journée est très enrichissante et j’en apprends beaucoup sur la question des réparations, plus complexe et plus importante qu’il n’y paraît.

île de Gorée au petit matin

Arrivée sur l’île de Gorée au petit matin – Crédit photo : Tambou

Nous sommes accueillis par cette banderole dans les rues de Gorée – Crédit photo : Tambou

Statue d’un couple qui se libère des chaînes de l’esclavage – Crédit photo : Tambou

Journée de conférences sur le thème des réparations – Crédit photo : Tambou

Jour 3 : Konvwa à Gorée

En attendant la visite

Le lendemain, retour à Gorée de bon heure. A 10h est prévue la visite de la dernière « maison des esclaves » de l’île, mais comme il est tôt, j’en profite pour discuter et faire plus ample connaissance avec quelques participants que j’avais croisé la veille, dont Sylestine, une afro-américaine venus récemment s’installer au Sénégal. Nous nous trouvons dans le jardin botanique Adanson, à côté d’une école. Des élèves sont sortis pour disputer un match sur le terrain de foot, et un jeune garçon, Mohammed, me demande si je veux qu’il me raconte l’histoire de Gorée. Il a mémorisé le speech du conservateur de la « maison des esclaves », qu’on écoutera un peu plus tard.

Visite de la dernière esclaverie de l’île

La maison des esclaves a été réservée pour notre groupe durant une heure, afin que nous puissions effectuer la visite et nous recueillir en dehors de la présence de touristes. Avant que nous entrions, un rituel est réalisé par la mambo (prêtresse vaudou) qui nous accompagne, puis c’est au rythme de chants émouvants que nous nous dirigeons tous vers la porte de non retour. Beaucoup de mes camarades semblent bouleversés, certains versent quelques larmes en voyant les cellules dans lesquelles leurs ancêtres étaient retenus prisonniers. Puis, tous réunis dans la cour à l’entrée et sur les escalier menant à l’étage occupé autrefois par les européens esclavagistes, nous écoutons avec attention le récit du conservateur de la « maison des esclaves ». Pour être honnête, une chose me gêne dans ce récit, tout comme ce qui est présenté sur les panneaux d’information à l’étage : c’est que l’esclavage est présenté comme l’œuvre conjointe des européens et des africains, qui se partageraient la responsabilité de ce crime, sans que personne n’en soit vraiment à l’origine. Nous connaissons bien cette version de l’histoire, et nous déplorons qu’elle se retrouve dans un lieu de mémoire comme celui-ci. Tant pis diront certains, nous sommes venus nous reconnecter, et cet endroit a le mérite d’exister.

Le Konvwa pou reparasyon

L’après-midi, après un bon repas et des échanges fraternels, nous nous préparons pour le konvwa. Il y a tout d’abord des prestations artistiques (percussions, chants, pièce de théâtre jouée par des jeunes de l’île) et des discours, puis à la tombée de la nuit nous entamons une marche aux flambeaux dans toute l’île, au son des percussions, jusqu’à la porte du retour. C’est une œuvre installée depuis 5 ans à l’extrémité de l’île par une artiste réunionnaise, et qui symbolise le retour des âmes arrachées à leur continent il y a des siècles. Là, nous y effectuons des libations et adressons une parole destinées aux ancêtres déportés.

Dans la cour de la maison des esclaves, sur l'île de Gorée

Nous entrons dans la maison des esclaves – Crédit photo : Tambou

silhouettes se dirigeant vers la porte de non retour de la maison des esclaves

Nous marchons vers la porte de non retour – Crédit photo : Tambou

L'océan vu à travers la porte de non retour

La porte de non retour – Crédit photo : Tambou

Jour 4 : Réserve de Bandia, village des tortues et Lac Rose

Aujourd’hui, je pars avec une dizaine de personnes visiter les alentours de Dakar. Le matin, nous visitons la réserve de Bandia, située à 65 km de la capitale, sur la route de Mbour. A bord d’une voiture de safari, et dans une ambiance de rires et de bonne humeur, nous découvrons les animaux qui vivent dans les 3500 hectares de la réserve : girafes, autruches, antilopes et gazelles, singes, phacochères, zèbres, rhinocéros, tortues et crocodiles. Pas de fauves à l’horizon, les herbivores peuvent dormir tranquilles ! Le décor est très relaxant, entre les acacias et les baobabs millénaires, il fait chaud mais avec un petit vent qui rend la chaleur plus que supportable. Notre guide nous parle de la culture sérère, des pyramides mortuaires, des griots enterrés dans les baobabs.

Après la réserve, nous reprenons la route pour nous rendre au village des tortues de Noflaye, non loin du Lac Rose (notre prochaine étape). Il s’agit d’un centre de repeuplement dédié à la reproduction et à la préservation de centaines d’espèces de tortues africaines, terrestre et aquatiques, qui sont ensuite relâchées dans des zones surveillées. Nous y croisons une tortue vieille de 118 ans !

Cette visite nous a donné faim, nous décidons de nous rendre au Lac Rose, Retba de son vrai nom, pour le déjeuner. Arrivés sur place, nous nous installons dans un restaurant au bord de l’eau (qui n’est pas rose à notre grande déception). Au menu : un lakk dieune, poisson braisé sénégalais ! Après le repas, je vais tremper mes pieds dans le lac, à défaut de m’y baigner (je n’ai pas pensé au maillot de bain). Je suis surpris de la température de l’eau, qui est très chaude. Quelques résidents de l’hôtel d’à côté se baignent et flottent à la surface. Quand j’ai fini de faire trempette, on me dit de vite me rincer les pieds, car le sel du lac est corrosif et risque de me piquer sévèrement. Mes amis font quelques achats dans une boutique où il est écrit que c’est « moins cher que gratuit ». Pour ma part, j’ai tout dépensé le 1er jour et je ne peux plus contribuer à l’économie locale, en dehors de la nourriture.

Pont de la réserve de Bandia vu depuis la voiture de safari

Safari dans la réserve de Bandia – Crédit photo : Tambou

Un rhinocéros et des phacochères de la réserve de Bandia

Rhinocéros et phacochères dans la réserve de Bandia – Crédit photo : Tambou

Zèbres et antilopes dans la réserve de Bandia

Réserve de Bandia : zèbres et antilopes – Crédit photo : Tambou

Deux girafes se reposent à l'ombre

Deux girafes se reposant dans la réserve de Bandia – Crédit photo : Tambou

Tortue centenaire du village des tortues de Noflaye

Mao Tsé Toung, la tortue de 118 ans du village des tortues de Noflaye – Crédit photo : Tambou

Barque sur le lac Rose au Sénégal

Barque sur le Lac Rose, ou Lac Retba – Crédit photo : Tambou

Jour 5 : Retrouvailles fraternelles à Fatick

Aujourd’hui, nous nous rendons tous dans la région Fatick, à l’ouest du Sénégal. Il fait beaucoup plus chaud qu’à Dakar, et même le vent est chaud ! Nous sommes invités par le Dr Gbodossou dans le Centre Expérimental des Médecines Traditionnelles (CEMETRA), qui œuvre depuis plusieurs décennies pour la préservation des pratiques médicales traditionnelles africaines. Nous sommes installés dans une tribune, où nous écoutons les discours de bienvenue des chefs traditionnels et des saltigués, puis nous sommes invités à venir les rejoindre pour assister à l’intronisation de Garcin, président du MIR, en tant que Grand Dignitaire Africain. L’heure du repas étant venue, nous nous installons à table pour déguster le repas spécialement préparé pour nous. L’occasion de poursuivre les échanges fraternels et d’en apprendre un peu plus sur la spiritualité africaine.

Le groupe accueilli en pays sérère

Le groupe est accueilli au CEMETRA, à Fatick – Crédit photo : Tambou

Jour 6 : Retour à Gorée

Je retourne à Ber (l’île de Gorée) pour y passer la journée avec Miguel. Sur ses conseils, j’entame une visite guidée de l’île avec le Colonel, qui vit ici depuis toujours et qu’il connaît très bien. J’apprends de nouvelles choses, notamment le fait que l’île abrite l’ancienne école de l’administration coloniale, où sont passés des chefs d’état africain (dont Paul Biya, l’actuel président du Cameroun), que certains immeubles ont la forme d’un bateau pour habituer les gens réduits en esclavage à vivre dans un bateau, avant la traversée de l’océan. J’apprends aussi que l’île reçoit environ 600 000 visiteurs par an. De l’autre côté de l’île, je visite le musée historique, qui se trouve dans l’ancien fort. A côté du musée, il y a la place de l’Europe, inaugurée en mai 2018, et très contestée, à juste titre.

Ensuite, je me rends à la porte du retour, pour la voir cette fois-ci en pleine journée, et prendre quelques photos.

Maison en forme de bateau sur l'île de Gorée

Cette maison ressemble à un bateau. Ce n’est pas anodin – Crédit photo : Tambou

Musée historique de l'île de Gorée

Musée historique de l’île de Gorée – Crédit photo : Tambou

Place de l'Europe vue depuis le musée historique

La place de l’Europe vue depuis le musée historique – Crédit photo : Tambou

Maison en forme de bateau sur l'île de Gorée

La seule rue de l’île de Gorée qui permet de voir la mer des 2 côtés – Crédit photo : Tambou

Maison en forme de bateau sur l'île de Gorée

La porte du retour, par l’artiste Migline Paroumanou – Crédit photo : Tambou

Jour 7 : Rencontre conviviale et réseautage

Dernier jour au Sénégal. Je me repose à l’hôtel le matin, et termine de préparer ma valise. Puis je me rends avec d’autres personnes au lieu de rendez-vous, le D-Nubian, un restaurant dakarois tenu par une martiniquaise installée ici depuis des années. Cette journée est l’occasion de nous retrouver une dernière fois pour des échanges fraternels, mais aussi pour échanger avec des membres d’associations locales et, comme on dit, réseauter. Afin que ce ne soit qu’un au revoir, et que nous puissions garder le contact dans le futur, et pourquoi pas mener des initiatives ensemble.

Remerciements

Je remercie Brice, Khety et Yared de m’avoir permis de faire ce voyage. Merci également aux organisateurs du MIR et leurs partenaires au Sénégal pour avoir fait de ce séjour une réussite !

Informations pratiques

Visa & passeport

Depuis 2015, le visa n’est plus nécessaire pour entrer au Sénégal. Vous devrez avoir un passeport avec une validité d’au moins 6 mois, un billet aller-retour, et une garantie de rapatriement.

Durée de vol

Depuis Paris, il faut compter environ 5h45 en vol direct.

Monnaie

La monnaie utilisée au Sénégal est le Franc CFA. 1 euro = 656 FCFA.

Quand partir ?

La meilleure période est d’octobre à juin, durant la saison sèche.

Organiser son voyage

Pour bien préparer votre voyage : guide du Routard Sénégal

Pour trouver un vol : rechercher un billet d’avion

Pour trouver un hôtel : voir les disponibilités

Les photos ont été prises avec le Panasonic Lumix DMC-FZ300  : voir sur Amazon

A propos de l’auteur


La recherche de mes racines m’ont amené à m’intéresser à la présence africaine à travers le monde, et plus particulièrement aux lieux de mémoire et aux musées dédiés à l’Histoire des peuples noirs. Ce blog est un guide de voyage où vous trouverez des informations à propos de lieux à visiter, mais aussi des interviews, des actualités, des carnets de voyage pour vous inspirer, et des conseils de lectures.

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